Inquiétante éntrangeté de Dieu
di LOUIS MASSIGNON
[Réponse à l’”Enquête sur l’idée de Dieu et ses conséquences”, L’Age nouveau, no 90, janvier 1955]
L’Etranger qui m’a visité, un soir de mai, devant le Tâq, sur le Tigre, dans la cabine de ma prison, et la corde serrée après deux essais d’évasion, est entré, toutes portes closes,
Il a pris feu dans mon coeur que mon couteau avait manqué, cautérisant mon désespoir qu’Il fendait, comme la phosphorescence d’un poisson montant du fond des eaux abyssales.
Mon miroir intérieur me l’avait décelé, masqué sous mes propres traits – explorateur fourbu de sa chevauchée au désert, trahi aux yeux de ses hôtes par son attirail de cambriole scientifique, et tentant encore de déconcerter ses juges avec un dernier maquillage, camouflé, de toucher du jasmin aux lèvres et de kohl arabe aux yeux – avant que mon miroir s’obscurcisse devant Son incendie.
Aucun nom alors ne subsista dans ma mémoire (pas même le mien) qui pût Lui être crié, pour me délivrer de Son stratagème et m’évader de Son piège. Plus rien ; sauf l’aveu de Son esseulement sacré : reconnaissance de mon indignité originelle, linceul diaphane de l’entre-nous deux, voile impalpablement féminin du silence : qui le désarme ; et qui s’irise de Sa venue ; sous Sa parole créatrice…
L’Etranger qui m’a pris tel quel, au jour de Sa colère, inerte dans Sa main comme le gecko des sables, a bouleversé, petit à petit, tous mes réflexes acquis, toutes mes précautions, et mon respect humain. Par un renversement des valeurs, Il a transmué ma tranquillité relative de possédant en misère de pauvresse.
[cite]
tysm review
vol. 22, issue no. 22
april 2015
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